
LA RELEGATION EN FRANCE
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Les Harkis après 1962
La fin de la guerre d’Algérie est un tournant pour les Harkis, dont le destin est, pour certains, marqué par un accueil difficile et tardif en France et des conditions de vie indignes.
Des accords d’Évian au rapatriement : la France a tergiversé pour ouvrir ses portes aux Harkis
Les accords d’Évian sont signés le 18 mars 1962. Ils entrent en vigueur dès le lendemain 19 mars avec l’application d’un cessez-le-feu à 12 heures.
Les accords d’Évian et la démobilisation des Harkis
Dès le début des négociations qui précèdent les accords d’Évian, le Gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) s’entendent sur le principe de non-représailles.
Extrait du Chapitre II des accords d’Évian, signés le 18 mars 1962
Nul ne pourra faire l'objet de mesures de police ou de justice, de sanctions disciplinaires ou d'une discrimination quelconque en raison :
- d'opinions émises à l'occasion des événements survenus en Algérie avant le jour du scrutin d'autodétermination ;
- d'actes commis à l'occasion des mêmes événements avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu.
Aucun Algérien ne pourra être contraint de quitter le territoire algérien ni empêché d'en sortir.
Article 2 des accords d’Évian
Les deux parties s'engagent à interdire tout recours aux actes de violence collective et individuelle.
Toute action clandestine et contraire à l'ordre public devra prendre fin.
Si les dispositions des accords d’Évian ne s’appliquent pas explicitement aux supplétifs, ces engagements bilatéraux garantissent sur le papier une régulation qui sera difficilement assurée dans la réalité, des deux côtés de la Méditerranée.


Texte du chapitre 1 des accords d'Evian du 18 mars 1962 portant sur l'accord de cessez-le-feu en Algérie.
Le décret n° 62-318, paru au Journal officiel le 21 mars 1962, détermine les conditions de démobilisation des seuls Harkis issus des harkas. Plusieurs dispositifs de reconversion professionnelle leur sont proposés, mais un transfert vers la France n’y est pas évoqué.
Les Harkis peuvent s’engager dans l’armée régulière et être transférés en France. Cette option est proposée essentiellement aux jeunes Harkis célibataires.
Ils peuvent faire le choix d’un retour à la vie civile, moyennant une prime de licenciement ou de recasement équivalente à 1,5 mois de solde par année de service. Les officiers sont incités à faire pression sur les Harkis pour qu’ils choisissent cette option.
Ils peuvent s’engager pour une durée de 6 mois à titre civil en tant qu’agents contractuels dans les armées.
La France entend se conformer à la lettre aux accords d’Évian. Toutefois, Louis Joxe, secrétaire d’État aux Rapatriés, donne ses instructions à Christian Fouchet, haut-commissaire par lettres 395 API/POL du 7 avril, 443 API/POL du 11 avril et du 18 avril 1962, MAE C.47.
Il écrit :
« Objet : situation de personnes engagées en Algérie aux côtés de l’Administration ou de l’Armée…/… En ce qui concerne les Harkis, les Moghaznis et les engagés…/… On ne devra pas hésiter à regrouper et à protéger ceux qui se trouveraient effectivement menacés, et le cas échéant, en cas de nécessité, les acheminer vers la métropole. »
Dans le même temps, pour les Harkis, en mars, 81,2 % d’entre eux optent pour le licenciement avec primes et, en avril, un tiers de ceux qui avaient demandé à s’installer en France y renoncent (Charles-Robert Ageron, « le “drame des harkis”… », p. 4.).
Le rapatriement tardif des Harkis
En France, le Premier ministre Michel Debré procède en février 1962 à l’installation d’une commission interministérielle chargée d’étudier les possibilités de rapatriement des Harkis et de leurs familles. Elle conclut à la nécessité du rapatriement des supplétifs et souligne que la France "n’a pas le droit [de les] abandonner" en vertu de la promesse qui leur a été faite au moment de leur engagement.
Les autorités gouvernementales requièrent alors un recensement des supplétifs menacés par le Front de libération nationale (FLN). Le 15 mai 1962, près de 5 000 supplétifs et leurs familles sont dénombrés et bénéficient de ce plan de rapatriement : ils quittent le pays au début du mois de juin 1962.


Ex-supplétifs et leur famille débarqués à Marseille dans l’attente d’un départ pour le camp de Sainte-Marthe puis celui du Larzac. Ils sont placés derrière un mur afin d'éviter les jets de pierres et les insultes d'immigrés, membres du FLN. © Fond Pierre Domenech - Source : ONaCVG
Ainsi la majorité des Harkis restent en Algérie tandis que d’autres supplétifs qui ne sont pas parvenus à se faire connaître par les autorités administratives embarquent clandestinement pour la France avec ou sans l’aide de leurs officiers. Ceux-ci sont en effet déjà chargés de la logistique de retour des forces armées et de l’ensemble des rapatriés, soit près de 700 000 personnes durant l’année 1962. L’arrivée de groupes d’anciens Harkis en métropole suscite d’ailleurs la vive réaction de Pierre Messmer, ministre des Armées, tel qu’il apparaît dans le message ci-dessous.


Message télégraphique de Pierre Messmer
Il est difficile de déterminer le nombre exact de supplétifs et des membres de leurs familles rapatriés en métropole. On estime toutefois que 66 000 d’entre eux sont arrivés entre juin et septembre 1962 (source : Service central des rapatriés).
Le lieutenant Yvan Durand, chef de la SAS et de la harka de Maala El Isseri (Grande Kabylie) démissionne de l’armée pour pouvoir s’occuper de ses hommes et de leurs familles. Il demeure alors en Algérie, sans droit, avec sa femme et sa fille de dix-huit mois, afin de trouver les moyens d’organiser leur transfert vers la métropole. Il attend que tout le monde soit embarqué pour partir, le 30 juin, dernier jour avant l’indépendance.
Cette photographie montre l’arrivée des familles le 6 septembre 1962, soit 133 personnes au total, ce qui représente la moitié de la population existante du village d’Ongles (Alpes de Haute-Provence).
En juillet 1962, le ministre des Armées Pierre Messmer signale que l’armée française ne dispose plus de moyens pour accueillir les anciens supplétifs dans les camps militaires en Algérie. Ces incertitudes amènent le gouvernement français à interdire fermement les transferts des supplétifs en France et donc à les abandonner, selon les mots du Président de la République le 20 septembre 2021. C’est dans ce contexte que des officiers ou des fonctionnaires, à l’instar du futur général François Meyer, décident de rapatrier des supplétifs, placés sous leur commandement, accompagnés de leur famille.
Les Harkis victimes de représailles
Dès le cessez-le-feu du 19 mars 1962, et surtout durant l’été puis l’automne 1962, certains anciens supplétifs font l’objet de représailles par les forces indépendantistes et une partie de la population. Le nombre de personnes qui ont été exécutées, torturées ou écrouées demeure indéterminé. Si le rapport à l’ONU du colonel de Saint-Salvy fait état de 150 000 morts, les historiens estiment que plusieurs dizaines de milliers ont été exécutés ou assassinés, sans qu’ils ne puissent, aujourd’hui, apporter une évaluation plus précise et consensuelle.
Ce n’est que le 19 septembre 1962 que le Premier ministre Georges Pompidou ordonnera le rapatriement des supplétifs en France.
Des conditions d’accueil et de vie indignes pour les Harkis
La vie dans les camps de transit et d’hébergement
À partir du mois de juin 1962, l’administration ouvre progressivement, sur le territoire métropolitain, six camps de transit et d’hébergement à :
La Cavalerie (camp du Larzac, Aveyron)
Bias (Lot-et-Garonne)
Le Vigeant (camp de La Rye, Vienne)
Rivesaltes (Pyrénées-Orientales)
Saint-Maurice-L’Ardoise (Gard)
Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme)
À ces structures d’accueil s’ajoutent trois prisons désaffectées :
la citadelle d’Amiens (Somme)
la prison de Cognac (Charente)
la prison de Nantes (Loire-Atlantique)
Sur place, l’armée organise l’accueil des Harkis, dont la présence dans les structures d’accueil doit être temporaire. Les conditions matérielles de vie sont précaires : les Harkis et leurs familles sont logés dans des baraquements ou sous des tentes. Il en va de même des conditions sanitaires, propices à la propagation des maladies.
Certains d’entre eux sont orientés vers des chantiers de forestage à partir du mois d’août 1962. Ils travaillent et vivent alors dans des hameaux forestiers, souvent isolés, où les conditions de vie sont spartiates. Les familles de Harkis sont logées dans des préfabriqués qui se détériorent au fil des années par manque d’entretien.
Ces hameaux provisoires se transforment alors en lieux de vie pérennes. Par ailleurs, les camps de Bias et de Saint-Maurice-L’Ardoise sont transformés en cités d’accueil pour les familles considérées comme difficilement réinsérables.
En 1975, le directeur de cabinet du préfet du Gard déplore des situations sanitaires (…) anormalement défectueuses : WC extérieurs collectifs sans eau courante et dans un état de délabrement avancé, douches collectives extérieures, également très dégradées et mises à la disposition des habitants une seule fois par semaine, petits appartements mal entretenus de deux ou trois pièces contenant, grâce à des lits superposés, des familles de 10 à 12 personnes. " »
Les structures d’accueil sont souvent isolées géographiquement et sont régies par un règlement intérieur qui impose, dans certains lieux, de lourdes restrictions aux libertés individuelles. L’enfermement et le manque de socialisation des Harkis vivant dans ces structures d’accueil entraînent des difficultés psychologiques, des actes de violences liés au traumatisme de la guerre, au déracinement, à l’alcoolisme et à une ségrégation scolaire des enfants.
L’insertion dans la société française des Harkis résidant durablement en hameau de forestage est donc fragile. Il en va de même pour les Harkis résidant en cité urbaine ou toute autre structure destinée à accueillir exclusivement des familles d’anciens supplétifs.
La vie hors des camps et des hameaux
La situation sociale et économique des Harkis qui ont bénéficié, dès 1962, des mesures de reclassement économique en dehors des camps et des hameaux est différente. Certains Harkis se sont intégrés à des quartiers et des communes où ils ont pu construire un réseau relationnel et, parfois, constituer un patrimoine en accédant à la propriété.
Par ailleurs, si les enfants de Harkis vivant dans les camps d’hébergement et dans certains hameaux n’ont pas été scolarisés à l’extérieur de ces structures avant le collège, ceux qui résident dans des espaces ouverts reçoivent une instruction publique aux côtés des Français de souche européenne. Quant à leurs parents, ils travaillent dans le secteur industriel (54,2% des Harkis ayant été reclassés), dans le secteur du bâtiment ou l’agriculture, et peuvent être intégrés à des cycles de formation au sein de centres professionnels.
Relogement des familles, l’exemple de la cité des Mimosas à Cannes :
Comme les hameaux de forestage, la cité est administrée par un « chef de village », un ancien adjudant, et une monitrice d’action sociale. La rapide amélioration des conditions de vie des anciens supplétifs permet aux enfants de partir en vacances et à leurs parents de s’équiper de réfrigérateurs, de machines à laver et, pour certains, de postes de télévision.
Des destins français tragiques
marqués par d'incontestables souffrances
Lors de l’indépendance de l’Algérie, les Harkis et leurs familles ont perdu la nationalité française. Pour la récupérer, seuls les Harkis, leurs épouses et leurs enfants installés en France, peuvent entamer une démarche recognitive de nationalité devant un tribunal.
L’ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 prévoit que les Harkis doivent s’acquitter d’un montant de 5 francs pour pouvoir effectuer cette demande. Formelle et symbolique, cette démarche, bien qu'elle aboutisse systématiquement à l’octroi de la nationalité française, est jugée injuste par les Harkis. Elle cristallise ainsi leur sentiment d’abandon et d’humiliation et constitue l’un des fondements de leurs revendications.
Ces sentiments d’abandon et d’humiliation sont renforcés par l’exclusion sociale à laquelle les Harkis sont exposés et dont les motifs sont divers :
Les discriminations liées à leurs origines algériennes ;
Le contexte de la décolonisation et des années qui suivent la guerre d’Algérie ;
L’âge des Harkis et de leurs épouses, qui n’ont plus la possibilité de recevoir une instruction leur permettant d’apprendre la langue française et de bénéficier de formations intellectuelles ou professionnelles. Ils forment aujourd’hui une population vieillissante, les veuves de Harkis étant particulièrement vulnérables du fait de leur situation économique.
Quant aux enfants de Harkis, ils ont des parcours personnels souvent marqués par des retards scolaires et professionnels importants. La scolarisation des enfants résidant en structure d’hébergement a été précaire et a manqué de continuité en raison des transferts réguliers d’une structure à une autre. Les enfants de Harkis ont donc eu un accès réduit aux études supérieures : 40% des enfants de Harkis ne sont pas diplômés et ont quitté le système scolaire avant l’obtention de leur baccalauréat. Toutefois, un certain nombre d’enfants de Harkis connaissent des parcours scolaires et professionnels réussis qui témoignent d’une ascension socio-économique certaine.
Les enfants de Harkis sont également, dès les années 1970, les acteurs d'affirmations et de revendications mémorielles des Harkis et de leur famille, nourries par la forte volonté de s’intégrer et de s’émanciper des structures d’accueil.
Cependant, en 1975, dans les camps de Bias et de Saint-Maurice-L’Ardoise, des enfants de Harkis se révoltent contre leurs conditions de vie. Ces révoltes entrainent la fermeture des camps à la fin de cette même année
(cf. « Les enfants de harkis, une jeunesse dans les camps » de Régis Pierret dans Pensée plurielle 2007/1 (n° 14), pages 179 à 192.)
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Vidéo du 06/02/1965 : Les Harkis à Nantes